Dans l’ombre de la lumière

Claude Pujade-Renaud raconte magnifiquement et poétiquement des histoires qui ne sont pas légères. Dans ses écrits, il flotte toujours un je-ne-sais-quoi d’éthéré, une atmosphère brumeuse, comme un léger voile au vent qui flouterait les contours des personnages et de leurs histoires. C’est une musique, un moment à part, une brise, un autre espace-temps, d’où l’on se réveille comme après un rêve. Voilà, c’est le mot, ses livres sont des rêves.

J’avais beaucoup aimé La nuit, la neige (un carrosse, Versailles, dans la nuit, on se remémore le destin de deux femmes), puis Tout dort paisiblement sauf l’amour (l’ancienne fiancée de Kierkegaard qui, en apprenant sa mort, s’interroge sur la malédiction que portait cet homme). Aujourd’hui, c’est Dans l’ombre de la lumière qui m’a emportée dans son sillage. On y découvre Elissa, l’ancienne compagne de celui qui n’était pas encore Saint-Augustin. Elle qui l’a tant aimé, a endossé son statut de concubine qui ne pourrait jamais l’épouser, lui a donné un fils, elle qui a du accepter la répudiation, l’éloignement avec ceux qui étaient sa raison de vivre, continue, par delà la distance et le temps, dans le silence, à aimer ce Saint-Augustin, pourtant si peu aimable tel qu’il est décrit ici.

Ici, ce n’est pas le « grand homme » Saint Augustin, évêque d’Hippone dont on suit les tergiversations, mais Elissa, son ancienne concubine. C’est en elle que l’on découvre le courage, l’abnégation, l’empathie, l’engagement, la puissance de l’amour, la folie du don de soi. Ce n’est pas Saint-Augustin, non, mais bien Elissa qui nous embarque. Elle qui, au-delà de prôner de belles valeurs et de se gargariser de bonnes intentions, pose chaque jour des actes qui, chacun, portent la preuve de qui elle est vraiment. Elissa nous permet aussi de découvrir -ou d’approfondir- la foi manichéenne, qui fut contemporaine de l’avènement du christianisme et dont Augustinus se revendiquait avant de devenir Saint-Augustin.

Dans l’ombre de la lumière, là où Elissa a choisi de vivre, est-ce encore la vie ? Est-ce encore l’amour, cet effacement de soi, ce renoncement total ? Il faut se rappeler que nous sommes à peu près en 400 (après J-C), les mœurs sont, certes, quelque peu différents. Cependant, les sentiments exprimés et les valeurs d’Elissa sont intemporelles et Claude Pujade-Renaud réussit encore une fois son invitation au voyage.